N’avons-nous pas tous déjà été interpellés par de curieuses coïncidences reliant un événement extérieur à notre état intérieur ? Et si ce n’était pas de simples hasards mais une conspiration de l’univers, de l’esprit et de la matière pour nous aiguiller sur le chemin de notre destinée ? Psychiatres et physiciens s’unissent pour répondre.

Panne de voiture le jour où nous n’avons plus aucune envie d’aller travailler, appel d’un ami auquel nous pensions à l’instant, ouverture d’un livre sur une page évoquant la question que nous avions justement en tête… Quelle est donc la nature de ces mystérieuses synchronicités qui relient deux ou plusieurs événements par leur sens, sans lien apparent de cause à effet ?

Si le rationalisme invoque la subjectivité de l’observateur, nombreux sont les chercheurs qui, depuis plusieurs décennies, se sont penchés sur la question de la relation entre la psyché et la matière. Leurs théories nous invitent à nous interroger sur ces phénomènes difficilement analysables par une science qui repose exclusivement sur la causalité et pour qui seul compte ce qui peut être mesuré et reproductible. A la frontière de la métaphysique, la quantique nous ouvre de nouveaux horizons !

Quand la physique et la psychologie se rencontrent…

Déjà, dans les années 40, le psychiatre Carl Gustav Jung commençait à noter le « rapport indiscutable » entre le contenu de rêves, d’étranges événements concomitants et le retour de patients à la santé psychique. Père du concept de synchronicité, l’exemple qu’il cite fréquemment dans ses livres évoque le cas d’une patiente dont le rationalisme rendait la thérapie particulièrement difficile. Un jour, alors qu’elle lui racontait avoir vu un scarabée d’or dans un rêve, ils entendirent frapper à la fenêtre du cabinet. Un insecte venait se cogner contre la vitre. Jung le prit dans sa main en s’écriant : « Le voilà, votre scarabée ! ». Et il semblerait que cet événement ait participé à créer l’ouverture d’esprit dont cette femme avait justement besoin pour guérir…

Par la suite, Jung rencontra Wolfgang Pauli, l’un des plus grands physiciens du XXème siècle, à qui l’on doit une contribution fondamentale sur la théorie quantique des champs. Ensemble, ils unirent leurs savoirs et entretinrent une longue correspondance. Tous deux partageaient notamment la conviction selon laquelle les synchronicités sont des phénomènes qui unissent le psychisme à la matière bien au-delà du hasard. Il s’agirait d’une interdépendance particulière entre l’état subjectif de la personne et des événements objectifs, une « rencontre signifiante » entre la psyché et la matière, capable d’influer sur le destin de ceux qui la vivent. L’observateur et l’observé se fonderaient alors en un tout synchrone, ce qui n’est pas sans rappeler les principes quantiques d’incertitude et de dualité onde-corpuscule. En effet, selon la physique quantique, au niveau subatomique, tout élément est doté d’une double nature : ondulatoire et corpusculaire. En fait, il demeure dans un état potentiel tant qu’il n’est pas observé. L’observateur ou la conscience a donc un rôle fondamental pour qu’un paquet d’ondes puisse « s’effondrer » en une particule, ou, autrement dit, pour qu’une énergie potentielle se manifeste dans la matière. Cette notion est un point clé pour comprendre la synchronicité : la conscience de la personne influe sur sa réalité, ou encore, comme le disait le physicien David Bohm, « le monde est dans l’esprit de celui qui observe ».

Au-delà de l’espace-temps

La physique quantique pourrait-elle expliquer ce mystérieux fil invisible qui relierait un état psychique et un événement concret ? Déjà à son époque, Jung était convaincu qu’il était possible de rapprocher la synchronicité avec de nouvelles notions en train d’apparaitre en physique. En effet, l’analogie s’impose entre le lien « sans cause » qui semble régir ces drôles de coïncidences et la notion d’intrication quantique.  D’après celle-ci, si l’on coupe un atome en deux, une modification sur sa première moitié affectera instantanément sa deuxième moitié, sans qu’aucun signal mesurable ne passe de l’une à l’autre. Ainsi, deux particules ayant été en contact demeureront advitam eternam unies par le souvenir d’avoir été ensemble. Même si on les isole à des années lumière l’une de l’autre, elles maintiennent une relation au-delà du temps et de l’espace. D’après la théorie de la psyché quantique de François Martin, physicien chercheur au CNRS, nos inconscients individuels seraient, de cette façon, liés entre eux. Cela expliquerait pourquoi plusieurs personnes, en France et en Thaïlande, témoignent avoir rêvé d’une vague immense la nuit du 26 décembre 2004, au moment même où un tsunami  frappait les côtes de l’Asie du Sud Est. Ou encore pourquoi de nombreux jumeaux racontent avoir reçu des flashs ou senti des émotions fortes pile au moment où leur pair était frappé par un accident…

Mais l’intrication ne s’arrête pas là. D’après Jung et Pauli, nous serions également en permanence reliés à l’inconscient collectif qu’ils considèrent comme une réalité physique objective, sorte de matrice commune située dans une dimension en dehors de l’espace et du temps. Ce « substrat cosmique » – pour reprendre les mots de Pauli –  serait comme une conscience universelle reliant toutes nos consciences individuelles. Cette grande réserve d’énergie rassemblerait la mémoire de l’humanité et gouvernerait le monde, non pas comme une force mais comme une forme qui informerait la matière. Cela fait étrangement penser à la notion d’Akasha, connue de plusieurs traditions anciennes, et qui, en sanskrit, signifie la « substance primordiale », le tissu qui embrasse tout ce qui est et à partir de quoi tout prend forme.

S’interrogeant sur ce sujet, Gilbert Sinoué, auteur du Petit livre des grandes coïncidences, relève les étonnantes synchronicités entre les découvertes réalisées au même moment mais dans des lieux différents par des hommes totalement inconnus les uns des autres. Il en aurait été ainsi pour l’invention de l’imprimerie, du tourne-disque, des premiers engrais chimiques, ou encore du télégraphe mis au point la même année des deux côtés de l’Atlantique : par Wheastone en Grande-Bretagne et par Morse aux Etats-Unis. « Serait-il possible que les cerveaux de chercheurs travaillant séparément, mais en même temps et dans la même démarche, soient capables de capter les informations émises par le cerveau des autres chercheurs ? Ou encore, que le premier qui a trouvé quelque chose crée simultanément une information correspondante dans une sorte d’inconscient collectif dans lequel d’autres peuvent alors puiser ? », se questionne l’auteur. Pour lui, le phénomène de synchronicité englobe également  les nombreux cas avérés de visions à distance et de prémonitions, annonçant par exemple une mort imminente, un tremblement de terre ou un accident d’avion. Dans de tels cas, l’événement synchrone à l’état psychique de la personne a simplement lieu en dehors de son champ de perception. Mais cela ne change en rien la conclusion qui semble s’imposer selon laquelle notre esprit ne connaitrait aucune barrière et serait même capable d’aller puiser dans le futur des images ou des inspirations.

Un ordre caché ?

Depuis la nuit des temps, les humains ont utilisé des outils de divination pour questionner l’univers et être guidés dans les meilleurs choix à faire. Que ce soit par l’interrogation de l’oracle chinois du Yi-Jing, des osselets africains ou des cartes de tarots, dans tous les cas, il s’agit d’un processus synchronistique reliant l’état de conscience du consultant avec une réponse obtenue dans la matière. Mais alors, y aurait-il un esprit, une intelligence, une entité agissant en dehors de tout espace-temps et par laquelle nous parviendrait la réponse ?

Si la question semble de nature spirituelle, elle a pourtant fait l’objet de nombreuses recherches menées par des physiciens comme David Bohm et David Peat. Le premier parlait d’un ordre implicite qui serait contenu dans des dimensions supplémentaires de l’espace auxquelles notre psyché aurait accès. Le second croyait en l’évidence d’un principe fondamental, agissant comme un ordre caché sous la surface du réel.  Pauli était lui aussi convaincu qu’une « force mystérieuse serait chargée de faire régner l’ordre dans l’immense chaos de la vie humaine ». Cela corrobore avec les constatations que Jung faisaient sur ses patients expérimentant un grand nombre de synchronicités. Au fil du temps, il apparaissait que celles-ci étaient régies par un principe de réelle sagesse allant bien au-delà de ce que notre connaissance consciente pouvait concevoir.

Alors, les synchronicités seraient-elles des messages codés en provenance d’une conscience supérieure ou d’une source d’intelligence non localisée ? C’est ce qu’affirme le Docteur Deepak Chopra qui perçoit les coïncidences comme des messagères révélant un sens et une intention de l’univers. Selon lui, « l’univers tout entier conspire pour créer notre destinée personnelle »  et il nous suffirait de suivre ce fascinant jeu de relais que sont les synchronicités sur notre chemin pour être guidés vers notre pleine réalisation. Le physicien Philippe Guillemant, chercheur au CNRS, le rejoint sur ce point : ouvrir notre esprit aux synchronicités nous permettrait de faire émerger un destin idéal. Selon lui, le futur de notre univers serait déjà réalisé, au moins en partie et selon de multiples versions. Chacune serait inscrite sur une ligne temporelle. Par notre psyché, notre attention, nos intentions, nos choix, nous aurions la possibilité de glisser de l’une de ces lignes à l’autre et faire basculer le scénario de nos vies. Ayant lui-même exploré cette voie, le chercheur raconte dans son livre La Route du Temps comment les synchronicités ne sont pas seulement des curiosités qui bousculent notre conception de l’espace-temps, mais aussi des outils dont nous pouvons nous servir. Il rejoint en ce sens la théorie de François Martin selon laquelle notre libre arbitre joue un rôle fondamental dans le passage de la potentialité (de multiples scénarios futurs existent) à l’actualisation (l’un des futurs probables s’incarne dans la matière).

Comment développer notre aptitude à provoquer des synchronicités ? A cette question, Philippe Guillemant liste plusieurs facteurs favorables. Tout d’abord, faire une demande, poser une intention. Ensuite, cultiver le détachement et le lâcher-prise. Enfin, s’ouvrir à l’inconnu, être prêt à sortir des sentiers battus et faire confiance… « Etre conditionné revient à être prisonnier d’une ligne temporelle, explique-t-il. Etre ouvert permet au futur de se restructurer… »

Une synchronicité est peut-être le signe que nous attendions pour nous pousser à des changements, à un éveil, nous confirmer dans un choix, nous montrer le meilleur chemin à suivre. Alors soyons attentifs aux petites et grandes coïncidences du quotidien. Car, comme l’a dit l’actuel Dalaï Lama : « il n’y a personne qui soit né sous une mauvaise étoile, il n’y a que des gens qui ne savent pas lire le ciel. »

Article de Claire Eggermont.
Paru dans Kaizen, Le Souffle quantique, Hors-série n°10, 2017
Se procurer le magazine: https://boutique.kaizen-magazine.com/hors-serie-et-numeros-speciaux/458-hors-serie-n10-souffle-quantique.html

En savoir plus :

  • Le petit livre des grandes coïncidences, Gilbert Sinoué, éd. SW Télémaque, 2015
  • Synchronicité, le rapport entre physique et psyché, Massimo Teodorani, Macro Editions, 2014
  • Synchronicité, le pont entre l’esprit et la matière, David Peat, éd. du Rocher, 1988
  • Le livre des coïncidences, Vivre à l’écoute des signes que le destin nous envoie, Deepak Chopra, éd. J’ai Lu, 2009
  • Synchronicité et Paracelsica, C.G. Jung, éd. Albin Michel, 1988
  • La route du temps, Philippe Guillemant, éd. Le Temps présent, 2014

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