Moon lodges, tentes rouges, cercles de femmes…. A la campagne, en pleine forêt, en bordure de rivière ou en ville, en yourte ou en appartement, de plus en plus de femmes s’éclipsent, ponctuellement ou régulièrement, de leur quotidien, de leur famille et de leur vie sociale pour entrer dans l’intimité de ces mystérieux regroupements. Quel est donc l’élan profond qui les « appelle »,  les pousse à dépasser les clichés et à oser franchir le pas ? Que viennent-elles y chercher ? Et par quelle magie « guérisons», « transformations » et « révélations » sont-elles rendues possibles ?

L’idée n’est pas nouvelle et s’inspire des tribus amérindiennes dans lesquelles les femmes se retiraient, sous un tipi ou un wigwam, le temps de leurs menstruations qu’elles avaient généralement toutes en même temps. « Pendant ces quelques jours considérés comme sacrés, les hommes œuvraient pour que les femmes ne manquent de rien et soient pleinement disponibles pour communier, écouter leurs intuitions, se transmettre du savoir et recevoir les visions qui pouvaient être utiles à l’ensemble de la tribu », nous explique Bhakti, grand-mère québécoise d’origine algonquine et huronne qui anime régulièrement en France des « loges de la lune ». En plein cœur de notre modernité, l’engouement pour ces rites anciens ne fait que s’accroître et des cercles de femmes « occidentalisés » émergent de toutes parts. La première fois, beaucoup ne savent pas ce qu’elles font là. On leur en a parlé et elles ont « senti » qu’elles devaient y aller… « Je me suis inscrite en faisant totalement confiance à une amie sans savoir où je mettais les pieds, témoigne Gwennig. J’avais développé une attitude tellement masculine pour survivre dans mon travail que je trouvais ça utile d’aller jeter un œil sur ma féminité ».  Clara quant à elle raconte à quel point elle se sentait épuisée par les épreuves de la vie, en perte totale de confiance et de direction, quand elle a décidé de faire sa loge de la lune. « Je ne pouvais plus continuer ainsi, il fallait que je fasse une pause et que « quelque chose » change. Et c’est tout à fait ce qui s’est passé ! ». D’une manière générale, le point de départ, c’est une quête de sens. Les femmes veulent comprendre leur histoire, se sentir mieux dans leur peau et trouver leur juste place. Beaucoup arrivent après un problème familial, une rupture, une maladie.  « En réalité, les femmes viennent parce que leur âme crie à être retrouvée, poursuit Bhakti. Nous avons été éduquées sur le « devoir » d’être des femmes sérieuses, de bien ranger notre maison, de bien nous occuper de nos maris et enfants et de ne pas faire de vague. Mais notre être profond n’en peut plus. Du fond de nos entrailles, il appelle à se réaliser pleinement ! »

Se déposer dans la bienveillance

Nombreuses sont celles qui arrivent aussi avec le poids de la honte. Honte d’être une femme, honte de saigner, honte du jour où elles ont annoncé leurs premières règles à leurs parents et n’ont souvent reçu en retour que rires, moqueries ou injonctions blessantes. « Des blessures, beaucoup, beaucoup de blessures… Des femmes blessées dans leur sexe, des femmes blessées dans leur intégrité, certaines presque détruites, d’autres qui se sont complètement refermées, la plupart qui doutent de leur valeur et de leur beauté », partage Emeline Decaesteker, animatrice de cercles et « moon mother » formée auprès de Miranda Gray. « Depuis des siècles, le féminin a été dévalorisé, reprend Bhakti, et nous ne savons plus comment retrouver notre centre et notre puissance. Dans les cercles, j’entends très souvent des femmes dire : « je sais que j’ai du talent et que mon projet pourrait marcher, mais j’ai peur ! ». Dans le passé, cela nous a beaucoup coûté de savoir et de nous exposer. Nous portons toutes encore la mémoire de ces milliers de « sorcières » qui ont été brûlées. » Ces blessures criantes au fond de leur corps, de leur cœur et de leur âme, les femmes  vont enfin  pouvoir les mettre en lumière, les déposer et les partager dans la rondeur et la chaleur du cercle. « Nous sommes arrivées en début de soirée. Dans un coin de la pièce étaient accrochés des voilages et des tentures rouges, qui formaient comme un cocon. Des coussins étaient posés au sol, des bougies au centre. Chaque participante avait amené des douceurs et il flottait une bonne odeur de thé », se souvient Emeline. Pour Florence Perdriel Vaissière, théra-coach pour les femmes, le premier objectif des cercles qu’elle anime, pour chaque nouvelle et pleine lune, est d’inviter les femmes à prendre un temps pour elles et à contacter l’instant, le « zéro attente », la détente. Précieuse reliance à l’intérieur avant de pouvoir partager… « Ici, plus besoin de faire, d’assurer, de gérer. Je peux m’ouvrir et recevoir… » Vient ensuite un cercle de paroles où chacune est invitée à tour de rôle à livrer ce qu’elle a sur le cœur. Le bâton de paroles qu’elle tient à la main lui assure l’écoute active de ses sœurs. Elle peut parler librement en étant entendue. « Beaucoup d’entre elles ont vécu toute leur vie sans jamais parler d’elles, de leurs envies, de leurs aspirations profondes, de leurs peines, de leurs peurs, ajoute Bhakti. Ce sera alors la première fois qu’elles peuvent se raconter. »

S’il y a autant de cercles différents que de facilitatrices, tous accordent une place essentielle à ce temps de paroles. Les histoires se font écho et révèlent toutes les facettes du féminin. Les blessures se rejoignent dans un seul et même fleuve, étreint par l’attention bienveillante des « sœurs de lune ». L’une a perdu un enfant, l’autre n’a jamais pu en avoir. L’une subit des violences conjugales, l’autre ne s’est jamais remis du viol de son enfance. « En le déposant dans le cercle, j’ai commencé à accepter tout ce par quoi j’ai du passer pour grandir », confie Kathia. Petit à petit, la sororité déploie ses ailes dans le cercle où chacune peut être reconnue et se reconnaître dans son unicité. « Au début, les nouvelles arrivantes ont des appréhensions. Elles se regardent, elles se comparent certainement. Puis, ça se détend… Et au fil du temps, certaines s’allongent, d’autres caressent les cheveux de la voisine, elles redécouvrent ce que c’est que de partager entre femmes sans concurrence et sans jugement. Même les moments de tristesse sont vécus avec grâce car elles se sentent entourées », reprend Florence Perdriel Vaissière. « Avoir un espace de sécurité où pouvoir se déposer et s’ouvrir, notre être n’attend que ça, précise Bhakti. Le mental a besoin de quelque chose de plus grand que lui pour lâcher et accéder à ce qui est au fond, à ce qui fait mal, à ce qui est gardé secret, enfermé… Toutes les loges de la lune que je propose commencent par le tracé du cercle de protection et une cérémonie de l’encens qui permettent à cet espace sacré de prendre vie. Des choses inhabituelles peuvent alors se produire ! ».

Recontacter la voix de l’âme

Pour cette femme-médecine, le rituel nous permet de passer sous la clôture du mental et d’aller directement dans la psyché collective. « Nous sommes des êtres spirituels qui avons pris possession d’un véhicule. Nous nous occupons du véhicule mais jamais du voyageur. L’espace du rituel s’adresse au voyageur et à cette grande intelligence, en nous, qui, j’en suis convaincue, ne veut que guérir et avancer. C’est pour cela que les cercles de femmes enclenchent parfois des transformations extraordinaires. Ils sont efficaces car ils s’adressent à la bonne personne en nous et non pas au mental qui a peur de l’inconnu. » Après les temps de parole, ce que les femmes font précisément dans leurs cercles est un secret bien gardé. Méditations, danses, chants, confections d’objets symboliques leur permettent de retisser le lien avec leur être profond. « On va passer par le corps, la matière, avec des éléments qui font sens et qui sont enracinés dans notre environnement, reprend Bhakti. A travers les tissus, les perles, du bois, des pierres, des plumes, qu’on assemble, on parle de soi autrement qu’avec des mots, les tensions et les émotions se libèrent, et c’est là que la magie opère ». Doucement mais sûrement, les femmes sont ainsi amenées à retrouver le chemin naturel vers leur ventre et son infinie puissance créatrice. « C’est là d’où vient notre petite voix et c’est elle qui devrait être au volant de notre véhicule ! Nous devrions plutôt l’appeler la grande voix ! Celle de l’âme qui est venue sur la terre avec une mission particulière ». Pour Florence Perdriel Vaissière également, la magie des cercles de femmes agit en les ramenant dans leur corps. « Le sacré est dans la matière !, insiste-t-elle. En revenant contacter leur ventre, leur sang, leur cycle, les femmes s’habitent davantage. Elles se replacent à l’écoute de leurs intuitions et des « signes » de la vie et renouent avec sa dimension spirituelle. Elles se rendent compte qu’elles ne sont pas seules mais toujours reliées et guidées. »

Oser briller en toute confiance

Alors que dans notre société occidentale, beaucoup de femmes ne font que donner tout au long de leur vie, au risque de devenir aigries en vieillissant, au sein des cercles elles réapprennent à recevoir… « Une femme est une fontaine : elle doit d’abord être pleine avant de donner, sans quoi elle se vide et s’assèche », souligne Bhakti. « Prendre soin de moi-même, écouter mes besoins, dire non à tout ce qui me blesse et me trahit, dire oui à ce qui me fait du bien », voilà les engagements avec lesquelles les femmes ressortent du cercle. Dans ce creuset alchimique, leurs peines ne sont pas les seules à avoir pu être accueillies. Leur joie d’être en vie, la conscience de leur valeur, l’affirmation de leur « bon pouvoir » ont également pu jaillir. Emeline raconte ainsi un rituel qu’elle a mené avec les femmes de son cercle, destiné à honorer la Déesse en chacune d’elles : « Ce fut magnifique de les voir accepter timidement, puis pleinement, leur grandeur. De les voir complètement présentes à leur corps et à leur être. De les voir oser briller, être puissantes dans une grande douceur. » « Pour moi, le clan est vraiment un espace extraordinaire pour favoriser l’éclosion de talents et la mise en confiance, reprend Bhakti. A partit du moment où la femme se sent aimée et soutenue dans ce qu’elle est vraiment, elle va pouvoir exprimer sa propre « médecine » et compter sur l’appui et les retours sincères de ses sœurs. » Finalement, ce sont des femmes debout et en marche qui ressortent des moonlodges et des tentes rouges, prêtes à créer la suite de leur histoire à partir de leurs ventres fertiles. De retour chez elles, nombreuses sont celles qui initieront leurs propres cercles de femmes dans la promesse de garder le feu vivant et de ne plus jamais remettre un couvercle sur l’espace sacré qui a été révélé. « Une main posée sur le cœur, une main posée sur l’utérus, un sourire apparaît… Cet instant est comme suspendu dans le temps. Je suis la spectatrice privilégiée de cette reconnexion à elles-mêmes », conclue Emeline Decaesteker.

Pour expérimenter :

A LIRE:

  • Lune rouge, les forces du cycle feminin, Miranda Gray, Macro éditions, 2017
  • Rituels de femmes pour explorer les secrets du cycle féminin, Le Courrier du Livre, 2018

One Thought on “Dans le secret des cercles de femmes”

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