« Chaque femme, chaque homme est riche et unique dans sa capacité à créer. Créer le monde, se créer, donner libre court à son inspiration quant à la naissance d’un objet, d’une musique, d’une peinture, d’une écriture, de toute expression lui étant propre et inédite. Devenir artiste oui, mais avant tout artiste de sa vie ! », s’exclame Jocelyne Striebig, hypnothérapeute, auteur du livre Créativité et Intuition. Si cet appel résonne fort en chacun de nous, ravivant notre envie de sortir des sentiers battus et d’oser dévoiler et offrir au monde les trésors enfouis dans notre cœur, ce n’est pas pour autant qu’il nous semble évident. Souvent, nous reléguons le don de la créativité à quelques génies inspirés, admirant leur capacité à donner naissance à des œuvres qui nous touchent ou des inventions révolutionnaires. D’où peut bien leur venir cette lumière soudaine ou ce flot d’inspiration qui semble parfois, eux-mêmes, les dépasser ? Serait-ce un don surnaturel ou une capacité innée que nombre d’entre nous aurions tout simplement perdue, étouffés par un emploi du temps et un mental surchargés ? Après tout, l’univers lui-même, depuis l’Origine, ne témoigne-t-il pas, d’un souffle créateur étonnement puissant, déployant la Vie sous des formes et des visages innombrables, toujours différents ? Alors comment entrer dans la danse et laisser libre court à cet élan capable de nous porter jusqu’à l’ultime niveau de la pyramide de Maslow : la création de Soi ?

Insaisissables éclairs !
A en croire les récits de nombreux artistes et inventeurs, l’inspiration se révèle aussi difficile à saisir qu’à définir. Généralement, elle apparait avec la puissance et la vitesse d’un éclair au moment où l’on s’y attendrait le moins. « Quand elle se fait sentir, elle est d’une telle pénétration et d’une telle subtilité – comme un feu follet – qu’elle se dérobe presque à une définition exacte », déclarait le compositeur Richard Strauss. Improvisant la musique depuis plus de trente ans, Daniel Perret vit, quant à lui, l’inspiration comme un souffle, une joie ou une envie qui montent et le saisissent. Sa harpe à la main, il cherche alors la gamme qui lui ouvre une porte et se lance. « Je n’enregistre qu’une seule fois et ne retouche jamais, nous confie-t-il. Je ne crée pas à partir d’idées préconçues, ça c’est sûr ! ». Partageant ce ressenti, de nombreux autres créateurs en tous genres affirment que leurs œuvres ne viennent pas de l’intellect. L’inspiration semblerait surgir au contraire quand le mental est en retrait. Le mathématicien Henri Poincaré aurait reçu, dans une intuition fulgurante, sa théorie des groupes fuschiens en montant dans l’autobus à un moment il avait justement décidé de ne plus y penser. Pour le physicien Amit Goswami, les idées créatives apparaitraient ainsi comme des « discontinuités » dans le cours ordinaire de nos pensées conscientes, sortes de sauts quantiques nous permettant d’atteindre quelque chose de véritablement nouveau. « Je n’y arrive pas par la force de la volonté, par les pensées superficielles ou terre à terre. Ce n’est possible que par les forces de l’âme ! », confiait Brahms, soulignant ainsi la force transcendante de l’inspiration. Certains auteurs parlent de « dictée cosmique » et les peintres peuvent vivre le même processus, comme c’est le cas de Jacqueline Gandubert : « Les couleurs m’appellent. Je les choisis sans hésitation, les malaxe, les mélange. Je commence à les appliquer sur la toile sans réfléchir. Je suis dans le voulu et non plus dans le vouloir ».

Différents niveaux de créativité
Bien entendu, parmi toutes les inventions et créations qui déferlent chaque année dans notre monde pour le meilleur et pour le pire, toutes ne sont pas issues de la même source d’inspiration. « Il faut que cela vienne d’En-Haut pour être capable de toucher les cœurs. Autrement la musique n’est que notes froides et corps sans âme ! », s’exclamait déjà en son temps Beethoven. En effet, si certaines œuvres ne sont que phénomènes de mode et de courte durée, d’autres se révèlent immortelles et universelles, venant toucher les profondeurs de ceux qui les écoutent ou les regardent, au-delà du temps et des cultures. Dans son livre Créer de l’art divin, Daniel Perret s’exprime ainsi : « trop d’art reste coincé au niveau des émotions douloureuses, des ambitions égoïstes, des bonnes intentions ou encore de la perfection trop mentalisée. Si cela peut nous faire réfléchir, ce n’est cependant pas suffisant pour élever notre esprit. Mais heureusement, de nombreuses impulsions créatives nous viennent d’au-delà de notre ego et personnalité, puisant leur source du plan mental supérieur (générant des pensées constructives et novatrices), de l’astral supérieur (émotions fines), ou de plans spirituels bien plus élevés encore. »
D’après le physicien Basarab Nicolescu, à l’origine de la Transdisciplinarité, et particulièrement intéressé par les relations entre l’art, la science et la tradition, il est nécessaire de distinguer l’imagination, l’imaginaire et l’imaginal. L’imagination désignerait la capacité de notre mental à faire des associations ou des liens entre différentes notions. Il s’agirait selon lui « d’une fausse inspiration qui tourne en rond et reste cantonnée à un seul niveau de réalité ». L’imaginaire quant à lui, ferait appel à certains de nos potentiels de sensibilité et d’intuition et nous donnerait la possibilité de traverser plusieurs niveaux de réalité et d’en tirer de l’inspiration. Enfin, l’imaginal, terme inspiré par la mystique soufi, désignerait le lieu de toutes les images du monde, un lieu situé en dehors de l’espace et du temps, sorte de réalité primordiale et permanente, accessible seulement avec « l’œil du cœur ». Ce serait aussi le lieu des visions extatiques et songes prophétiques, où certains saints, mystiques, chamanes et personnes particulièrement éveillées pourraient se rendre dans des états de conscience expansés. « Dans des moments privilégiés, nous pouvons y pénétrer, nous explique Basarab Nicolescu, et amener dans notre monde des images qui n’ont jamais été dites ou formulées avant. C’est la source de la grande littérature, de l’Odyssée jusqu’à Shakespeare, de la grande musique et de la science fondamentale. » Cela semble se rapprocher de ce que Daniel Perret nomme avec ses propres mots « inspiration pure » : « les œuvres qui en découlent portent une lumière et une beauté universelles, elles élèvent les personnes qui les reçoivent dans des sentiments nobles. Elles ouvrent un aperçu vers l’étendue et l’éternité de la dimension divine. »

Entrer en contact avec l’Esprit
Dans son ouvrage Entretiens avec de grands compositeurs, Arthur Abell fait état à plusieurs reprises de cette mystérieuse force ou énergie, à l’origine des inspirations de nombreux artistes. « Le soir, quand j’admire avec étonnement le ciel et le nombre impressionnant des astres rayonnants, mon esprit s’envole bien au-delà des étoiles, jusqu’à la Source Eternelle d’où vient tout ce qui est créé et d’où s’écoulent sans fin de nouvelles créations », lui confiait Beethoven. Se pourrait-il donc qu’en élevant notre esprit vers des sphères supérieures, nous puissions rejoindre notre être véritable et notre essence et avoir accès à cette Source infiniment créatrice ? Pour le Dr Wayne W. Dyer, auteur du livre Inspiration, nous portons tous quelque chose au fond de nous qui attend d’être révélé. Et être inspiré consisterait à nous ouvrir à cette dimension spirituelle qui préside le monde visible des formes. « Lorsque nous sommes inspirés, nous sommes en contact avec elle, écrit-il. Nous nous joignons à ce champ d’énergie en expansion qui coule en nous et l’invitons à irriguer notre vie. »

Finalement, nos idées inspirées proviendraient de ce grand vide primordial que les traditions anciennes tout comme la physique quantique ont largement décrit. Un vide qui ne serait pas vide, mais plein, plein d’énergie et d’information. Pour Basarab Nicolescu, il ne s’agit pas d’une banque de données où nous pourrions aller puiser des idées existantes et nous les accaparer, mais bien plus d’une source infinie d’ « information spirituelle » qui se rapprocherait de ce que le christianisme a nommé « le Saint Esprit ». « Cette information spirituelle a besoin de nous, explique-t-il. Si elle n’entre pas en relation avec nous, elle est complètement stérile. Pour que ce soit vivant, une interaction entre l’être humain et cette source spirituelle est nécessaire. »Alors, quand nous recevons une inspiration, une nouvelle idée, est-ce nous qui la créons ou viendrait-elle d’un ailleurs, d’un En-Haut ? Pour ce physicien éclairé, la réponse juste à cette question nécessite de se placer dans une toute autre logique, celle qu’il a nommé « le tiers inclus ». « Qui crée ? C’est moi et plus grand que moi. C’est moi et l’unité du monde. Car nous sommes aussi plus hauts que nous-mêmes ! L’inspiration est une coopération de l’être avec lui-même.»

Cultiver l’inspiration
Si l’inspiration peut traverser tout un chacun comme un éclair soudain, étonnant et insaisissable, il se pourrait également qu’elle se cultive. « L’information spirituelle est partout mais on ne la voit pas. On y est comme aveugle car on n’a plus le récepteur pour la capter. Toute la difficulté réside dans le nettoyage de l’organe intérieur de réception de cette information spirituelle », reprend Basarab Nicolescu. Le chemin à parcourir consisterait donc à passer de la perception extérieure à qui notre culture matérialiste à donner l’exclusivité au développement de la vision intérieure, œil de l’âme ou « œil du cœur ». Pour Daniel Perret, un accès durable à des niveaux d’inspiration élevés ne peut être atteint qu’en dissolvant l’ego avec l’aide d’une aspiration claire, de rigueur, de détermination et de patience. « Il s’agit de pénétrer l’espace non-né du noir vierge et de non-pensée, explique-t-il. C’est un espace qui existe déjà en nous mais qui est encombré. Pour être vraiment créatif, nous avons besoin de nous vider de notre radio intérieure, de nos concepts, de nos influences, de toute autorité extérieure à nous-mêmes, de nos peurs et sentiments d’infériorité. » D’après ses recherches, nombre de grands artistes inspirés avaient des pratiques spirituelles régulières, exercices, méditations ou prières, dont le but était la transformation de l’ego et de la souffrance. Bien sûr, certains musiciens ont pu composer des œuvres dès leur plus jeune âge, comme certains inventeurs ont pu faire des découvertes extraordinaires sans avoir accompli de travail sur soi. Pour Daniel Perret, la dimension karmique entre ici en jeu et explique que certains êtres arrivent dans cette vie moins chargés du poids de l’ego et plus enclins à créer.
« Il faut que le moi s’efface. Non pas disparaitre, mais se mettre entre parenthèses pour se laisser être traversé », poursuit Basarab Nicolescu qui préconise pour cela de commencer par la relaxation, du corps mais aussi de la pensée. Selon lui, l’essentiel pour s’ouvrir à l’inspiration sans se faire envahir d’informations est de développer un équilibre entre les trois parties constituantes de notre être : les instincts, les sentiments et la pensée. « Seul un équilibre de nos trois centres permettra à une nouvelle intelligence de prendre place, une intelligence créatrice. »
Les différents auteurs et artistes interrogés insistent sur l’éveil de notre ressenti subtil comme préalable indispensable à une inspiration élevée. Il s’agit de cesser de fonctionner par rapport à nos connaissances, habitudes et conditionnements, pour entrer dans l’expérience vécue, unique et sensible. « Plus vous élevez votre niveau de conscience et votre fréquence personnelle, plus vous découvrirez les plans supérieurs, reprend Daniel Perret. Dans les sphères les plus hautes, vous n’avez plus rien d’autre pour distinguer ce que vous rencontrez que votre ressenti subtil. Cela vous ouvre un champ d’exploration infinie de la dimension divine que vous pouvez ensuite manifester dans votre vie. »

Le grand œuvre de notre vie
Au final, plus nous laissons la Source de Vie s’écouler librement à travers nous et accomplir son œuvre alchimique, plus nous devenons créatifs. De beauté, de soi et du monde, nous rappelant que rien n’est séparé et que la terre entière attend notre contribution à un équilibre meilleur. « Le grand œuvre de notre vie consiste pour chacun à se rapprocher de l’être en totalité, unifié en son corps, cœur, âme et esprit. A chacun de ressentir ce Feu créateur au plus profond de soi, et d’éviter de laisser passer le temps sans avoir pu exprimer ce qui donne sens à notre venue sur terre », conclue Jocelyne Striebig.

Reportage de Claire Eggermont. Hors-série Inexploré n°8 – 2019

Retrouver l’intégralité de hors-série sur : https://www.inrees.com/Abo/Inexplore-magazine/Inexplore-HS8/

ENCART : Dominique Lussan, resident trainer au sein de l’Institut Monroe, exploratrice des ponts entre conscience et créativité, explique que plus nous allons nous rapprocher de notre être véritable – ce qu’elle appelle « monter en identité d’être » -, plus notre créativité va se déployer et se placer au service de la régénération de l’écosystème global. Dans l’étude approfondie qu’elle a menée sur ce sujet, elle distingue trois grands échelons d’identité d’être. Dans le premier, les personnes sont tournées vers l’extérieur et le regard des autres. Elles créent en fonction de ce qu’il est bon ton de faire et de penser. Dans le second, elles commencent à vivre une intériorité et à toucher des états de joie et d’amour qui ne dépendent plus de l’extérieur. Leur créativité prend sa source dans leurs ressentis intérieurs tout en entrant en relation avec la profondeur des autres. Et dans le niveau le plus élevé, les personnes touchent ce que la tradition hindoue nomme le supramental et s’inscrivent dans une dimension collective. Elles co-crèent avec les forces de la nature et de l’univers et peuvent rayonner ce qu’elles sont au sein de l’unité du monde.

En savoir plus :
• Nous, la particule et le monde, Basarab Nicolescu, EME Editions, 2015
• Entretiens avec de grands compositeurs, Arthur Abell, éd. du Dauphin, 1998
• Créer de l’art divin, les origines de l’inspiration, Daniel Perret, éd. BoD, 2016
• Créativité et intuition avec l’auto-hypnose, Jocelyne Striebig, éd. Josette Lyon, 2017
• Inspiration, l’appel de votre vie, Dr Wayne W. Dyer, éd. J’ai lu, 2012

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