Entendre l’appel de notre âme

Chacun à notre manière nous pouvons tôt ou tard entendre résonner au fond de nous l’appel de notre âme. Un désir ontologique, plus fort que tout, qui nous exhorte à sortir de nos peurs, de nos conditionnements et de notre confort, pour oser être Soi et exprimer nos plus beaux talents. Cette « légende personnelle essentielle » est décrite en astrologie par la Lune noire. Son étude nous offre des clés pour mieux nous comprendre et découvrir le chemin de notre étoile.

Décrite pour la première fois au XIXème siècle par Don Néroman, l’étude de la Lune noire en astrologie est récente. Bien qu’encore marginale, elle n’en demeure pas moins essentielle. Selon Luc Bigé, si l’on regardait notre thème astral comme le théâtre de notre existence, alors  les planètes en seraient les acteurs, les maisons astrologiques les décors, les douze signes zodiacaux les ambiances, et la Lune noire en serait l’auteur : « celui qui, tout en restant caché, cherche à transmettre un sens profond, essentiel, vital. Cet auteur ne se dévoile vraiment que lorsqu’il estime l’œuvre d’une vie à la hauteur de son désir, de son intention originelle ». Pour ce Docteur en Sciences, astrologue et fondateur de l’Université du symbole, appréhender la Lune noire, c’est déjà postuler l’hypothèse de la réincarnation et imaginer que ce sens profond, nous allons l’approcher, nous en éloigner et éventuellement le retrouver au fil de nos vies successives. Il serait notre mythe fondateur : le défi le plus important à relever pour nous mais aussi le plus difficile. « Cette énergie est tellement puissante qu’elle effraie autant qu’elle fascine. Comme dans les contes, avant de retrouver le trésor que cache notre âme, le joyau au cœur du Lotus, nous devrons déjà rencontrer le dragon qui en garde la porte ».

Lilith et la Licorne

Lieu d’accomplissement de Soi mais aussi de chute, la Lune noire est ambivalente. Pour l’aborder, l’astrologie distingue d’ailleurs deux points différents sur notre thème natal, tous deux reliés à des archétypes bien connus des traditions anciennes. La « Lune noire moyenne », ou « Licorne », correspond au déplacement de l’apogée de l’orbite de la lune autour de la Terre. Elle décrit la qualité de notre «étoile », l’énergie qui anime notre quête d’Absolu. La « Lune noire corrigée », encore appelée « Lilith », indique quant à elle la position exacte du second foyer de l’orbite de la lune autour de la terre au moment de notre naissance. Symboliquement, elle représente un vide, un manque, une absence, un lieu de souffrance due à la première coupure qui poussa notre être dans le flux des existences. Et toute la complexité de l’accomplissement de notre légende personnelle réside dans le fait que généralement, ces deux lunes noires se trouvent au même endroit !1 Notre plus grand désir côtoie de près nos plus grandes peurs ! « C’est comme si, symboliquement, au moment du Big Bang, chacun de nous était parti avec une étincelle du divin en soi, précise l’astrologue Marie Laure Marcowith. Lors de nos premières vies, nous aurions suivi le programme initial de cette Licorne, exprimant pleinement notre don divin originel. Puis, de vies en vies, nous nous serions écartés d’elle, expérimentant des tas de choses, commettant des erreurs, abusant de notre pouvoir, souffrant et faisant également souffrir les autres. Lilith est constituée de toutes ces mémoires de « chute », engendrant dans notre vie actuelle de grandes peurs qui nous barrent la route vers notre Soi. Ces peurs, il va nous falloir les mettre en lumière afin de retrouver notre étincelle première. »

« Je sais ce que j’ai à faire pour aller mieux dans ma vie, mais je n’ose pas », « Quand je me lance dans cette activité pourtant essentielle pour moi, des peurs profondes me saisissent et me stoppent », «  J’aimerais faire ce métier mais quelque chose en moi me l’interdit », toutes ces phrases et ces ressentis pourraient bien être en nous la signature de Lilith. Figure mythique ancienne, la Bible et la Kabbale lui attribuent un caractère démoniaque. Lieu de Chute hors du paradis originel, elle agglomèrerait dans notre psyché toutes les expériences trop douloureuses que notre ego n’a pas pu digérées, toutes les mémoires des « ratés » de notre histoire, encore présentes dans notre inconscient car non intégrées, et qu’à tout prix nous ne voulons pas revivre. Noyau psychotique de notre personnalité, empreint de honte et d’interdit, « en elle viennent stagner tous les résidus émotionnels issus de tous les traumatismes de notre histoire karmique », reprend Marie-Laure Marcowith. Pas étonnant que nous en ayons si peur !

Une fuite vers Priape ?

Pour certaines personnes, cet appel de l’âme se fait clairement entendre, alors que pour d’autres, il prend plutôt la forme d’une insatisfaction qui sourde au fond de soi sans être vraiment conscientisée. « Quoiqu’il en soit, l’interprétation de la Lune noire dans un thème va faire ressortir un chemin avec une phase involutive et une phase évolutive qui nous montre comment nous pouvons progressivement nous rapprocher de notre mythe fondateur. En travaillant sur soi, on peut accompagner ce  mouvement en conscience », précise Luc Bigé.  Généralement, pour ne pas nous confronter aux mémoires contenues en Lilith, nous commençons par nous construire une « maison sympathique » dans le signe tout à fait opposé. Nous nous réfugions en ce lieu, appelé « Priape », où nous allons tout faire pour exister matériellement, être compétent, reconnu et sécurisé, « loin des effrayants vertiges qu’évoque l’idée d’un Absolu ».

Prenons un exemple. Un individu ayant la Lune noire en Taureau possède une connaissance innée et intime des secrets de la matière. Bâtisseur, artisan, jardinier ou guérisseur par les plantes, avant la Chute, il faisait corps avec la matière et avait le don de la sublimer. Doté d’une grande capacité de travail et de persévérance, rien ne pouvait lui résister. Du moins, c’est ce qu’il crut longtemps, tant et si bien qu’il ne vit par arriver la Chute : une descente progressive dans la nonchalance et la paresse jusqu’à perdre toutes ses possessions ! Acharné et obstiné, l’acceptation de cette perte fut insupportable. Pour ne plus toucher ce point de souffrance, il  va donc se construire sur Priape dans le signe opposé, à savoir le Scorpion, cherchant à mettre en valeur la force de l’esprit et à vivre indépendamment de toute contingence matérielle, presque pauvrement. Un jour pourtant, il reviendra vers son mythe fondateur de Bâtisseur, ayant gagné au fil du chemin un sens du détachement et de l’acceptation des cycles de la vie….

Chacun de nous allons ainsi nous satisfaire d’une situation confortable jusqu’au jour « où la leçon du monde perd son éclat devant le Son de Dieu. Alors, saturée de compétences et de reconnaissances, la personnalité ouvre son cœur au chant de la Licorne ». Cette ouverture passera généralement par de la colère, un point d’affirmation où l’on trouvera la force de revenir à l’essentiel. Si cet itinéraire par Priape peut sembler être une vaine fuite, il est en réalité une étape nécessaire. « Priape nous offre l’occasion de construire une personnalité mûre, qui n’est plus dans l’illusion de la toute puissance, un moi psychique qui a su se fondre dans le moule pour ensuite s’élaborer de manière indépendante du monde extérieur, et qui va pouvoir canaliser à nouveau quelque chose de l’ordre de l’essence », reprend Luc Bigé.

Retour vers l’étoile

Mais le chemin de retour vers Soi n’est pas dénué d’embuches. Comme nous l’explique Marie-Laure Marcowith, qui anime notamment des ateliers astro-chamaniques pour une rencontre « intérieure » avec  Lilith et la Licorne : à partir du moment où l’on commence à entendre l’appel de notre âme, toutes les mémoires difficiles contenues dans Lilith vont remonter à la surface. Dans l’exemple d’une personne ayant la Lune noire en Taureau, en renouant avec la matière, elle pourra à nouveau être confrontée à la perte. « De telles épreuves nous font toucher la peur profonde de revivre ce que l’on a déjà connu. On peut alors croire que l’on s’est trompé de chemin et être tenté de renoncer. Or, les peurs qui ressurgissent sont justement en train de se transformer. Il ne s’agit pas d’abandonner ni de rejeter la faute sur les autres, mais de reprendre tout ça à notre actif. Reconnaître l’ombre comme faisant partie de soi et réaliser qu’elle nous permet de nous corriger et d’avancer vers notre bon pouvoir, celui du Cœur, juste et rayonnant. »

Pour Luc Bigé, la première étape du retour vers l’étoile consiste à dénouer une impossibilité de se mettre à nouveau en avant due à une peur viscérale de trop briller et d’abuser. Sur le plan psychologique, il s’agit de devenir observateur de soi-même, réalisant que nos peurs ne sont que des mirages nés des brumes du passé. Après la purification de la vision, viennent celle du cœur, qui s’ouvre à l’amour inconditionné, n’ayant plus besoin de l’appréciation des autres pour exister, et celle du corps, par le nettoyage des mémoires cellulaires. « A la fin de la remontée, le désir premier de la Licorne s’accomplit seulement si on est dans le non saisissement. La conscience se rouvre alors au grand flux du Mystère. Le désir du cosmos peut s’accomplir à travers elle. La personne s’efface au nom de son Œuvre.  »  Vous souvenez-vous de ces contes qui racontent que seule une Vierge peut capturer la Licorne ? Luc Bigé nous éclaire : « En réalité, elle ne la capture pas car elle ne la chasse pas. Le fougueux animal vient de lui-même poser sa tête sur son cœur, aimanté par sa nature virginale ». La virginité est ici à comprendre comme l’absence de tout désir personnel et de toute impureté. Ayant dénoué ses mémoires de souffrance mais aussi ses espaces narcissiques d’autosatisfaction, la conscience se désidentifie de ses expériences anciennes. Moins elle a d’histoire personnelle, plus elle peut devenir un miroir pour l’esprit. Conserver sa virginité revient alors à conserver la fidélité à son étoile.

Mais alors, à quoi bon ce processus ? Pourquoi avoir eu besoin de quitter l’Unité première pour vivre le cycle des réincarnations et être rappelé ensuite vers notre étoile ? Questions auxquelles Luc Bigé nous répond : «Si ce processus est important, c’est qu’il nous fait passer d’une unité restreinte avec soi-même, à une unité plus vaste, dans la conscience de l’altérité. Au cours de tout ce processus, notre étoile intègre la dimension fondamentale de l’Amour. Nous retrouvons la lumière de la Licorne, avec l’orgueil en moins, et l’amour en plus. »

Article de Claire Eggermont pour le magazine Inexploré n°45, janv-fév-mars 2020

1 : Un écart de 12 degrés peut séparer la lune noire moyenne de la lune noire corrigée. Chaque signe zodiacal comprenant 30 degrés, elles se trouvent généralement dans le même signe.

En savoir plus : La Lune noire, un vertige d’absolu, Luc Bigé, éd. de Janus, 2004

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