L’agroforesterie est un système agronomique diversifié, associant sur une même parcelle des arbres et des cultures ou des animaux. Pratique pluriséculaire anéantie en un demi-siècle de productivisme et de chimie, elle regagne peu à peu ampleur et intérêt s’avérant capable de concilier productivité accrue et régénération de l’environnement.
Y a-t-il élément naturel plus admirable que l’arbre de par sa longévité et sa multifonctionnalité : médiateur entre terre et ciel, régulateur de la qualité de l’eau, du sol et de l’air, grand pourvoyeur de biodiversité, en deux mots producteur et protecteur de la vie ? L’agriculture moderne a-t-elle été si aveuglée pour avoir cru pouvoir se passer de lui sans dommage ? Le faire disparaître de nos champs et de nos paysages sans déséquilibrer l’ensemble ?
Les limites de cinquante ans de désarbrement
A partir des années 50, avec le pétrole remplaçant le bois-énergie, la mécanisation et l’agrandissement des parcelles, l’arbre est devenu gênant. En seulement quelques décennies, 75% des haies ont disparu au profit des « openfields », déserts de monocultures dopés aux engrais et pesticides. Au final, 15 millions d’hectares ont été remembrés en France. Après seulement un demi-siècle, ces modes de production intensifs et artificialisés montrent leurs limites : au-delà des divers désastres écologiques occasionnés, même les rendements se sont mis à stagner voire à décroitre. Les conséquences directes du désarbrement massif révèlent, par défaut, l’importance vitale des haies et des arbres champêtres qui auraient notamment pu amoindrir l’érosion massive des sols et la chute drastique du taux de matière organique. Il est évident que l’agriculture du XXème siècle n’est plus adaptée aux défis planétaires d’aujourd’hui et qu’il est urgent d’encourager de nouveaux modèles agricoles, plus respectueux tout en étant aussi productifs.
L’agroforesterie, une alternative d’avenir
Concept né dans les années 70 et mûri par 40 ans de recherche et d’expérimentation, l’agroforesterie commence à faire ses preuves à travers le monde, s’adaptant à toutes sortes de climats, d’échelles, d’aménagements, du simple jardin potager aux grandes cultures céréalières. Elle interpelle de plus en plus d’agriculteurs mis devant le fait accompli de l’épuisement de leurs sols et l’obligation de trouver des solutions pour assurer l’avenir économique de leur exploitation.
Si elle est une alternative d’avenir prometteuse, l’agroforesterie est aussi un retour à l’évidence que le bon sens de nos ancêtres avait cerné bien avant nous. Elle existe dans les faits depuis le commencement de l’agriculture et les écrits d’agronomes romains comme Pline l’Ancien, Varo et Columella y faisaient déjà référence. En France, dès le Moyen-âge, arbres, haies et bosquets avaient une place privilégiée dans le paysage façonné par les paysans. Fruits d’un entretien régulier, ils fournissaient au gré des saisons et des besoins toutes sortes de biens de nécessité. Deux formes d’agroforesterie traditionnelle étaient principalement pratiquées : les pré-vergers et les cultures intercalaires. L’arbre agroforestier était essentiellement fruitier : association céréales et noyers en Isère, pêchers et maraîchage dans le Roussillon, noisetiers et grandes cultures dans le Sud-Ouest, oliviers et vignes en Méditerranée ou encore chênes truffiers et lavande en Drôme provençale. Le sylvopastoralisme était répandu comme les pré-bois du Jura et les pâturages dans les châtaigneraies corses et cévenoles. Toutes ces pratiques ont largement régressé.
Outre l’intensification des cultures, d’autres facteurs expliquent cette régression, notamment la sectorisation de la recherche et la pression des réglementations. A la fin des années 60, la PAC a mis en place des primes incitatives pour l’abattage des arbres de hautes tiges. Avant 2000, une parcelle agroforestière n’était reconnue ni comme agricole, ni comme forestière, et n’était donc pas éligible aux aides du premier pilier. Triste paradoxe puisque d’autres aides étaient en parallèle allouées pour le reboisement des forêts ! La reconnaissance des parcelles agroforestières en tant que parcelles agricoles au sens propre a commencé en 2006 pour s’étendre en 2010 avec un plafond de 200 arbres par hectare. Par ailleurs, la mesure 222 du PDRH* permet maintenant une aide à l’installation en agroforesterie à hauteur de 80%, ce qui ouvre de nouvelles perspectives encourageantes.
Arbres et cultures : un modèle gagnant-gagnant
L’arbre est donc peu à peu reconsidéré et beaucoup d’obstacles ont du être surmontés par associations, chercheurs et agriculteurs « précurseurs » pour lutter contre les idées reçues telles que « rien ne pousse sous les noyers ». Ce qui est vrai pour un arbre centenaire ne l’est pas pour un jeune arbre agroforestier planté au bon moment et au bon endroit. Les études prouvent qu’ensemble, les plantes et les arbres se stimulent et s’entraident. En raisonnant le choix des variétés, les densités à l’hectare, les espacements et la coupe du bois, le mélange d’arbres et cultures est un modèle coopératif gagnant-gagnant, rendant de multiples services à l’ensemble de l’écosystème. Les arbres produisent beaucoup avec peu ; l’exemple de la forêt est éloquent : pas de labour, pas d’arrosage, pas d’intrant, et une profusion de vie ! L’agriculture a donc de quoi s’en inspirer pour recréer les mécanismes agroécologiques qui assurent la fertilité des sols, stimulent la biodiversité et participent à dépolluer l’air et les eaux de nos erreurs passées.
L’agroforesterie de troisième génération, kesako ?
Soyons clairs : l’agroforesterie recommandée aujourd’hui, dite de « troisième génération », n’est pas celle de nos ancêtres. Elle est adaptée aux besoins de notre époque et peut coexister avec la mécanisation. Il ne s’agit plus de plantations monospécifiques mais de mélanges pied à pied d’essences d’origine locale. Elle intègre un travail sur les formations végétales voisines, la régénération naturelle en bordure de parcelles, les semis d’herbacées au pied des arbres. Elle s’associe avec une couverture permanente des sols, voire avec des techniques de semis directs. Pas de recette miracle : elle est à adapter à chaque projet. Elle est peu coûteuse, facile à mettre en place et peut être rapidement rentable. L’agriculteur, outre le fait de bénéficier du cercle vertueux d’un sol vivant et de cultures en bonne santé, développe de nouvelles sources de revenus étalées dans le temps. Certes, l’investissement est à raisonner à moyen ou long terme, mais en comparaison avec la réparation des externalités négatives du modèle dominant actuel, le coût d’une plantation d’arbres parait dérisoire. L’agroforesterie nous amène à sortir d’une vision partielle du vivant et d’une logique de profit à court terme, maintenant désuètes, pour reconsidérer l’agriculture en terme d’agro-écosystème global et durable.
* Programme de Développement Rural Hexagonal
Reportage de Claire Eggermont paru dans Terre & Humanisme n°84, hiver 2014.
Sources : AGROOF, AFAF, Arbres et Paysages 32