Si nous ne connaissons généralement du haka que la version médiatisée des All Blacks, Waimaania et Ojasvin en proposent une toute autre interprétation, celle d’une danse chantée et sacrée, pratiquée à des fins de guérison et d’éveil de conscience.

« He uri no marama, Hohou rongo, Toa matou », « Descendants de pure lumière, Résonnant la paix, Nous nous tenons debout et forts »… Ainsi entonnent aux quatre coins du globe les milliers de danseurs du « Grandmothers Healing Haka » formés par Ojasvin Kingi Davis, représentant officiel des peuples maoris, et sa femme Waimaania Iris Häusermann, suissesse d’origine, danseuse et chorégraphe inspirée. Cette danse pourrait-elle soigner et éveiller les consciences ?

Se souvenir de nos origines célestes

Danse de pouvoir connue par les Maoris en Nouvelle Zélande depuis la nuit des temps, le haka aurait été donné par les dieux afin d’aider les humains à s’incarner et à faire descendre l’énergie divine sur la terre. Depuis, d’innombrables formes ont été créées dont chacune a sa propre histoire et sa propre intention. « Le haka est comme la nature, raconte Ojasvin, il est sans cesse en évolution. Avec la colonisation anglaise et la chasse aux chamanes qui en découla, le sens originel du haka s’est dissipé pour ne laisser généralement qu’une pratique populaire de revendication culturelle. Aujourd’hui, nous souhaitons réhabiliter son aspect sacré et le mettre au service de l’éveil du nouveau monde. »

C’est suite à sa rencontre en 1998 avec Shin, fondateur de l’école du Yoga de l’Apprentissage Intégral, lors d’une Célébration pour la terre réunissant de multiples cultures et traditions, qu’Ojasvin eut l’inspiration de créer le Grandmothers Healing Haka. « Aîné d’une lignée de 53 petits enfants, je pratiquais le haka depuis tout jeune avec ma grand-mère. J’avais pour habitude de la solliciter pour ses conseils et sa sagesse. Lorsque je suis rentré chez moi après cette rencontre, nous avons écrit ensemble cette nouvelle forme de haka célébrant l’union dans la diversité. Si l’enseignement de Shin et le nôtre se sont si bien associés, c’est que nous partageons le ressenti selon lequel que toutes les cultures et religions sont les expressions d’une même Source. Se souvenir de nos origines célestes et faire briller nos étoiles sur la terre, ne serait-ce pas ce à quoi nous sommes aujourd’hui appelés pour redonner du sens à nos vies et à notre monde ? »

Partageant cette compréhension, Waimaania a structuré un enseignement accessible aux Occidentaux, établissant ainsi un pont entre les sagesses anciennes et les besoins du monde moderne. « Nos lointains ancêtres aux quatre coins du globe étaient tous reliés à la tradition cosmique, explique-t-elle. Ils savaient que la terre a été créée par une conscience supérieure, que l’on peut appeler Dieu, que les Maoris appellent Io. De cette première impulsion sont nées toutes les traditions terrestres, comme les rayons d’un même Soleil central. Depuis cette source cosmique, nous nous sommes répandus comme le sable d’une rivière et adaptés aux environnements variés de la Terre Mère. C’est pour cela que nous trouvons des symboles similaires au sein de cultures différentes et de pays parfois éloignés. La terre est une école pour nos âmes. Nous rappeler qui nous sommes et d’où nous venons peut nous aider à retrouver la dignité d’être humain. »

Réveiller courage, clarté et engagement

Bien au-delà de vouloir transmettre une pratique purement maori, c’est l’étincelle de cette conscience universelle que Waimaania et Ojasvin souhaitent réveiller dans le cœur et dans le corps des participants qui viennent à eux, femmes et hommes de tous âges et de tous horizons. Selon eux, si les Maoris ont été réputés pour leur bravoure lors de matchs de rugby ou en première ligne des fronts de guerres, le healing haka [ha – souffle de vie, ka – le feu ] peut attiser le même courage dans un but plus noble, celui de servir une bonne transformation. Comme tout art martial, il prépare la condition mentale au combat, mais mène aussi l’esprit vers davantage de clarté et de présence. Drainant rapidement beaucoup d’énergie dans le corps physique, sa pratique raviverait en chacun force, équilibre et confiance. « Tant de nos contemporains se sentent impuissants, épuisés, seuls, déconnectés et maintenus dans la peur. Le healing haka est un outil qui peut les aider à retrouver la volonté et le feu d’aller de l’avant. Notre but sur la terre est bien plus élevé que de rester asservis à un système destructeur. Nous savons tous que le monde va mal, qu’il souffre de bien trop d’injustices et d’une dissipation insensée des ressources naturelles. Le healing haka amène ce message de vérité, permet de voir la réalité telle qu’elle est sans se sentir écrasé et impulse l’élan de se positionner clairement dans la lumière. Activant la géométrie sacrée de notre corps, il réveille dans nos cellules la conscience de notre essence divine, notre pouvoir et notre responsabilité. Il nous aide à conserver notre axe même au sein des orages et des tumultes du quotidien. Il refait circuler le flux de la vie, cette poussée naturelle qui veut grandir et s’épanouir. »

C’est à travers un enchainement postural dynamique que ce processus alchimique s’accomplit dans la danse, mais aussi à travers les chants, liant ainsi le geste à la parole, l’esprit et le corps. Ojasvin précise que comme beaucoup de langues anciennes, le maori est multidimensionnel, chaque syllabe comportant un sens, une image et différents niveaux de lectures possibles. Plus la danse est pratiquée, plus elle permettrait de toucher des sphères subtiles de conscience, les mots et les mouvements activant ce qu’il nomme des « codes d’évolution ». « Ka tu te ihi ihi », clame-t-il relançant le groupe dans le mouvement, injonction pouvant signifier « L’esprit est libre ! » ou encore « Les forces vibrantes s’élèvent ! ». Une fois la chorégraphie finie, les participants restent figés quelques instants, le corps essoufflé et les yeux pétillants, chacun témoignant à sa manière de la paix et de la vitalité que la pratique lui procure…

Honorer notre terre et nos racines

Après avoir enseigné le healing haka dans près de vingt pays en dix ans, Waimaania et Ojasvin partagent leur expérience : « Nous constatons que notre travail participe à enraciner les gens et à quel point cela est utile dans le monde d’aujourd’hui. Beaucoup ont déjà suivi de multiples enseignements spirituels ou thérapeutiques mais restent flottants, déconnectés du corps. Le healing haka ramène l’esprit dans le physique, la présence dans l’incarnation. Nous sommes bel et bien des êtres spirituels qui expérimentons ce que c’est que d’être des humains incarnés sur la terre. Il est fondamental d’honorer notre corps et notre terre pour pouvoir manifester dans la matière nos plus belles intentions et offrir en retour à l’univers de beaux fruits spirituels. Plus nous descendons profondément, plus nous pouvons nous élever et atteindre une conscience claire. L’arbre nous montre la voie : pour grandir, il a déjà besoin de racines. »

Accompagnant la chorégraphie du healing haka par des chants, des méditations, des pratiques énergétiques et des rituels simples, les deux enseignants insistent sur la nécessité de se reconnecter à nos racines. Au-delà de la lourdeur et de la noirceur dont nos lignées ancestrales sont parfois empreintes, elles représentent un énorme réservoir de savoir et d’expériences dans lesquels puiser pour servir notre croissance. Ainsi, tout ce que nos ancêtres auraient expérimenté serait inscrit dans nos cellules et accessible ici et maintenant, dans l’« éternel présent ». Par la mise en mouvement du corps, l’intensification de la présence et de la clarté en lui, nous pourrions y avoir accès et transformer les informations qui ne nous servent plus. D’après Waimaania, « nous sommes les seuls qui pouvons changer notre monde, nous sommes les seuls qui pouvons nous guérir, mais cela demande de l’engagement, de la détermination et la croyance en notre potentiel de transformation. La transformation est dans la nature et dans notre vraie nature. Si les feuilles ne tombaient plus, la terre ne serait plus nourrie. Si nos cellules cessaient de se renouveler, nous mourrions. Déconnectés de nos racines, nous avons perdu la mémoire de ce processus naturel de transformation et c’est ce pouvoir que nous devons retrouver aujourd’hui pour sortir de nos statuts de victimes et reprendre notre vie en mains. »

Comment ce que l’on pourrait considérer comme une simple danse peut-elle impulser cette ouverture de conscience et réveiller ce pouvoir ? « Cela est mystérieux… », répondent les deux enseignants. « Ce qui est sûr c’est que nous assistons régulièrement à des transformations inouïes et qu’un bon nombre de participants témoignent à quel point la pratique du healing haka a changé leur vie. »

Amener de l’avant la sagesse ancienne

« Au début, certains membres de ma famille étaient en désaccord avec notre manière de pratiquer le haka, poursuit Ojasvin, notamment avec le fait d’enseigner les mêmes mouvements aux hommes et aux femmes. J’ai compris qu’il est fondamental d’honorer nos racines mais aussi nos ouvertures actuelles de conscience, car les nouvelles générations ont ce défi d’amener de l’avant la sagesse tirée du passé. Ma grand-mère souhaitait que ses petits enfants œuvrent à un monde meilleur. C’est en partie pour lui rendre hommage que nous avons choisi le nom Grandmothers healing haka. Mais il se réfère aussi à toutes les grand-mères qui, dans ma tradition, avaient un rôle central, celui de garder le feu allumé au cœur du foyer, de la famille, et de maintenir la connexion avec le premier feu, celui de la divinité en nous. »

Après une cérémonie rendant hommage aux pierres, esprits des grand-mères, gardiennes de la mémoire, le maître maori partage son point de vue selon lequel si l’humanité a beaucoup détruit jusqu’ici, c’est qu’elle n’habite pas pleinement ses trois centres de conscience : celui du ventre, celui du cœur et celui de l’intellect. Tous sont utiles, mais si l’un domine, le déséquilibre advient. « Nous souhaitons que le healing haka puisse aider l’être humain à réhabiliter ces trois centres, lui offrir le courage de sortir des visions limitantes du mental, de descendre profondément en lui-même, d’ouvrir l’espace du Cœur et d’expérimenter une nouvelle réalité, accomplissant l’Union intérieure. » Waimaania conclut alors : « Quelle est l’intention du Créateur ? Nous avons à la découvrir en nous-mêmes, devenant plus nobles, plus dignes, honorant notre lumière et notre corps, prenant soin de la Terre et du Ciel en nous-mêmes, et transmettant le meilleur pour la postérité. »

Témoignage de Nathalie

 « Je pourrais comparer ma première rencontre avec le Healing Haka à un tsunami d’émotions, de sensations, ébranlant tout mon corps, réveillant ce qui ne demandait qu’à vivre en moi et que j’avais enfoui sous des tonnes de conformisme et des années de souffrances. Ce fut une telle révélation pour moi, que je me suis entraînée, séminaire après séminaire, et si au début, je le faisais comme une chorégraphie, parallèlement à cela, ma vie intérieure se déployait, et ma vie extérieure se transformait. J’activais ma “géométrie sacrée” et cela avait une incidence directe sur mon environnement. Le langage et la culture maoris ont, pour moi, quelque chose de primordial, qui ont fait vibrer ce qu’il y avait de primordial en moi. J’ai apprivoisé mon corps, je me sens plus centrée, plus libre d’être moi-même, réconciliée avec mes ancêtres et plus vivante. Mes sens et perceptions s’affinent également. Je ne me sens plus trop petite en ce monde, car je sais que je fais partie de lui et que j’y ai ma juste place. »

Reportage de Claire Eggermont pour l’INREES

Crédit photo: Adrien Meynard

Waimaania Iris Häusermann et Ojasvin Kingi Davis sont également enseignants du « Yoga de l’Apprentissage Intégral et Action intuitive » et membres du Cercle de Sagesse de l’Union des Traditions ancestrales en France.

 

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