Le regard de Pierre Rabhi.

L’être humain est un mammifère doté d’une âme, d’un esprit et d’une subjectivité situés au plan subtil. Il ne vit donc pas que de pain. Il se nourrit aussi d’une réalité vibratoire, immatérielle, émotionnelle que la beauté révèle et éveille et que l’artiste tente d’exprimer.

La beauté véritablement nourrissante n’est pas pour moi assimilable à l’esthétisme froid et superficiel, surabondant dans notre société moderne. Je la ressens davantage comme émanant d’une grâce naturelle, semblable parfois à celle qu’expriment les peuples traditionnels.

Je suis touché par la magnifique dignité de certains Peaux-Rouges qui portaient le sacré tant sur leur visage que dans chacun de leurs gestes. Simplement reliés à la vie, ils passaient discrètement sur la terre ; ils ne vivaient pas dans la pesanteur, ne laissaient pas derrière eux de grands monuments mais un sentiment d’éternité… Du moins, c’est ainsi que je conçois leur posture.

J’ai souvent parlé de la rupture inédite avec la nature que la modernité a engendrée et je voudrais insister ici sur l’impact que cela a eu sur la beauté. Regardons les maisons modernes. Pratico-pratiques, conçues sous le credo du « time is money », elles ressemblent davantage à des boîtes à habiter. A contrario, les vieux mas comme celui où j’ai la chance de vivre en Ardèche sont intégrés dans le paysage, sobres et nobles à la fois, porteurs d’une sorte d’âme. L’hyper-activité de notre époque, en nous coupant de notre cadence naturelle, a porté atteinte à la contemplation tranquille et à l’art de concevoir de belles choses.

Je ne peux m’empêcher de penser que pour retrouver à la fois l’équilibre, la vitalité et la joie, l’enthousiasme au sens profond du « divin en soi », la reconnexion à la nature est essentielle. Elle nous offre chaque jour, à chaque saison, mille et uns éclats de beauté et la chance de pouvoir nous y abreuver à volonté. Elle a le pouvoir de réveiller en chacun la capacité de s’émerveiller de la magie et de la profusion de vie qui nous entourent et auxquelles nous ne prêtons souvent pas attention. Il y a fort à parier que si nous prenions le temps de nous émerveiller davantage, nous aurions plus d’aptitude et de volonté à prendre soin de nous et de la vie et serions bien inspirés pour créer une société plus équilibrée. C’est pourquoi il me semble évident que l’écologie devrait avant tout mettre l’accent sur la nécessité de sauvegarder la beauté initiale et incomparable que nous offre la nature.

Les personnes qui vivent en son sein retrouvent le lien sacré à la Terre et la cadence juste adaptée à leur propre nature ; elles se réalignent à l’essentiel et émanent à leur tour une beauté intérieure. Au-delà des critères esthétiques relatifs aux différentes cultures et variant selon l’appréciation de chacun, la beauté intérieure ne passe pas par l’intellect mais elle fait vibrer le cœur de manière universelle. Il s’agit là pour moi de la beauté fondamentale, celle qui émane de l’amour, de la générosité, de la bienveillance, du respect… et que le lien avec notre Terre-Mère ne peut que faire fleurir. Nous espérons que la beauté, dont les enfants sont l’un des témoignages les plus prodigieux, ne soit plus pervertie par la laideur du monde. « La beauté sauvera le monde », proclament certains mystiques et cela résonne en moi comme une évidence.

Propos de Pierre Rabhi collecté et retranscrit par Claire Eggermont
Article paru dans Kaizen n°20, mai-juin 2015

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