Depuis les temps les plus reculés, et pendant des milliers d’années, il ne faisait aucun doute pour tous les peuples de la planète que la nature était « vivante ». Aux quatre coins du globe, sur les cinq continents, la croyance en un « esprit » animant tout être vivant et tout élément naturel était largement répandue. Des vestiges archéologiques attestent de la vénération de la Grande Déesse ou « Terre Mère », dont le culte était universellement pratiqué dès la fin du Paléolithique. Ainsi tous nos ancêtres honoraient-ils la Terre comme une entité sacrée, reliée au Ciel, dotée de cohérence et d’intelligence, et garante de la fécondité, de l’équilibre et de la pérennité de la Vie. Au cours des trois derniers siècles, cette vision ancestrale d’une nature animée fut littéralement terrassée par celle d’une nature inerte, basiquement matérielle, évoluant selon une mécanique dénuée de toute sensibilité. Si cette conception cartésienne du vivant semble avoir bouleversé et désenchanté notre rapport au monde, elle est de plus en plus remise en question par les avancées de la biologie et de la physique, quantiques notamment. Les notions modernes de champs vibratoires et d’intrication rejoindraient-elles les sagesses ancestrales ? Les dernières découvertes scientifiques seraient-elles en train de valider un « nouvel animisme » ?

Terre-Mère, terre sacrée…

Dans son livre Sagesses d’ailleurs, Frederika Van Ingen relate ainsi les propos d’Eric Julien : « Pour les Kogis, la Terre est un corps vivant. Son système pileux, c’est la végétation. Son squelette et ses os, ce sont les roches. Son souffle, c’est le vent. Son sang, ce sont tous les liquides. ». Ainsi résume-t-il la vision que partagent nombre de peuples premiers. Ils perçoivent la Terre comme une Mère, toutes les créatures vivantes comme ses enfants, « et leur père est un seul Esprit » précisait Black Elk, le grand homme-médecine lakota. Le psychologue Patrick Cicognani qui a passé lui-même trois ans sur la réserve sioux de Cheyenne River se rappelle avoir vu un ami indigène tuer une antilope en pleine course, s’agenouiller auprès d’elle, y déposer du tabac, prier pour elle et sortir ses entrailles en offrande aux coyotes et aux corbeaux. « Pour eux, l’être humain est le petit dernier de la création, nous explique-t-il. Ils considèrent les plantes et les animaux comme des enseignants qui viennent les instruire à travers rêves et visions. » A l’autre bout du globe, la vénération pour la terre a également longtemps été inscrite dans la culture des Mongoles.  L’anthropologue Laetitia Merli raconte comment les entités maîtres du sol et de l’eau appelés en Mongolie lus savdag « sont assez taquines pour se venger de quiconque viendra déplacer des rochers, creuser la terre, couper des arbres, souiller l’eau des rivières. »1 Cela expliquerait notamment pourquoi les Tsataans, à chaque fois qu’ils plantaient et retiraient les piquets de leurs yourtes, faisaient un rituel de pardon à la Terre.

De même, en Indonésie, sur l’île de Siberut, les Mentawais ou « hommes fleurs » ne ramassent pas les plantes de la jungle sans leur avoir d’abord chuchoté une parole sacrée2. Dans les Andes, le rituel d’offrande à la « Pacha Mama » se pratique encore aujourd’hui durant tout le mois d’août. Au point culminant de leurs villages, Quechuas et Aymaras creusent un trou représentant la bouche de la Terre et  sensé être directement relié à son cœur. Ils y déposent céréales, feuilles de coca et bière de maïs pour remercier et s’attirer les bonnes grâces de la Terre. Dans son livre L’âme de la nature, Rupert Sheldrake rappelle que cette vision de la Terre comme un être vivant se retrouvait également en Europe où les religions précédant le christianisme étaient polythéistes tout comme les religions pré-judaïques de Palestine. Elles comprenaient toute une série de cérémonies saisonnières, et reconnaissaient le caractère sacré de nombreux arbres, sources, roches, montagnes et rivières. Les Celtes considéraient la Terre comme le corps de Dana ou « Grande Mère » et savaient qu’il était alimenté par tout un réseau énergétique d’artères et de veines, sorte de serpent sacrée nommé la « wouivre », qui corrobore avec les découvertes actuelles de la géobiologie.

Rupture et désenchantement

Ces convictions d’une nature vivante, pourvoyeuse de toute vie et digne du plus grand respect, interpellent donc par leur universalité. Mais par quels concours de circonstances notre monde contemporain s’est-il à ce point éloigné de cette vision et déconnecté des forces de la Terre ? D’après les « passeurs » interviewés par Frederika Van Ingen, cette coupure d’avec la nature a pu commencer il y a 10 000 ans avec la sédentarisation, l’agriculture et la volonté de domestiquer le vivant et de maîtriser les phénomènes naturels. Mais l’étape décisive pendant laquelle toute les anciennes croyances païennes présentes en Europe ont été ni plus ni moins « diabolisées » arriva bien plus tard, avec la Réforme protestante amorcée au XVIème siècle. Les rituels qui honoraient les forces de la nature furent alors interdits, puits saints et autres lieux sacrés furent profanés, et de nombreuses représentations anciennes de la Grande Mère furent détruites. « L’Eglise s’efforça de provoquer un changement d’optique irréversible. Le royaume de la nature devait être débarrassé de la moindre parcelle de magie ou de spiritualité ; et le royaume de l’esprit se confiner aux limites du genre humain », écrit Rupert Sheldrake. Selon lui, cette grande Réforme prépara la révolution scientifique qui eut lieu au cours du siècle suivant. La réflexion du jeune Descartes selon laquelle l’univers n’était qu’un vaste système mathématique et mécanique finit par imprégner de fond en comble le nouveau paradigme occidental. Un siècle plus tard, la révolution industrielle acheva de désenchanter la nature, la réduisant au rang de « matières premières » exploitables au service du « progrès ». Reniant l’héritage plurimillénaire qui le reliait à la Terre, à ses forces et à ses lois, l’homme moderne s’auto-proclama unique créature consciente au sein d’un monde inanimé.

Quand la quantique ré-anime la nature…

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. A la fin du XIXème, doucement mais sûrement, certains physiciens posèrent les bases de la physique quantique sans se douter que leurs hypothèses soulèveraient bientôt une nouvelle révolution dans notre regard sur le monde et notre rapport à la nature. Le Prix Nobel de chimie Wilhem Ostwald postula en 1890 que l’unique substance réelle de la nature était l’énergie et non la matière,  ce que confirma plus tard Einstein avec sa célèbre équation E=mc2.  Et voilà que la matière que nous pensions inerte et inanimée se révèle être de l’énergie condensée ! « La dualité onde-corpuscule est une propriété de l’atome. Il n’y a donc pas d’opposition entre matière et énergie. Les peuples premiers le savent depuis bien longtemps. Le fondement de leur société et de leur relation à la nature repose davantage sur la logique de la physique quantique que sur celle de la physique classique », nous partage le physicien et anthropologue Philippe Bobola3. En effet, pour tous les peuples premiers, tout ce qui est a d’abord existé sous une forme spirituelle. Selon eux, non seulement il est possible de communiquer avec cet aspect spirituel caché dans toute chose, mais il est urgent de reprendre conscience que nos vibrations s’interconnectent et s’influencent sans cesse au sein du grand cercle de la Vie. « L’intrication quantique corrobore avec  l’interrelation de tout ce qui vit dont ont conscience les peuples racines. A l’échelle de l’infiniment petit, nous découvrons effectivement un vaste réseau reliant toutes les particules de l’univers de façon non-locale », poursuit Philippe Bobola.

Branche spécifique de la quantique, la physique des champs, qui décrit  la matière comme une multitude de champs d’énergie exerçant une influence les uns sur les autres, fait particulièrement écho à l’approche traditionnelle des esprits de la nature. D’après le psychiatre et chercheur Olivier Chambon, « les champs sont des structures invisibles qui sont immatérielles mais provoquent des effets réels. Des scientifiques ont prouvé qu’ils sont dotés de qualités propres, de conscience, de mémoire et qu’ils ont la capacité d’interagir avec d’autres consciences. Ce que l’on appelle un champ quantique, morphique ou morphogénétique est tout simplement appelé « esprit » par les chamanes »4. En outre, de plus en plus de physiciens quantiques postulent la présence d’un champ unifié primordial duquel seraient issus tous les autres champs connus de la physique. Pour Sheldrake, « cette notion de champ unifié est la mieux à même de traduire celle de l’âme de la Terre ». Ainsi semblerait-il que la réalité des esprits ressentie par toutes les cultures ancestrales ne soit ni invention ni superstition, mais bel et bien fondée. « Ils sont juste perçus par d’autres canaux que ceux que nous utilisons habituellement », nous dit le Dr Chambon. Philippe Bobola le rejoint sur ce point : « Dans des états modifiés de conscience, on accède à cette autre dimension du réel où l’on peut voir l’énergie qui émane de toute chose. Quand Crazy Horse disait : « Jai vu le monde derrière le monde », c’est ce qu’il sous-entendait. Il y a donc bien deux plans superposés de réalité et deux manières de relationner avec l’univers. » Fait étonnant, le « chant » des esprits de la nature que les chamanes disent pouvoir entendre convergerait lui aussi avec quelques découvertes scientifiques récentes. L’astrophysicienne Sylvie Vauclair aurait mis en évidence celui du soleil émis par le transfert de chaleur de zones convectives, alors qu’une autre équipe franco-allemande dit avoir capté sur le plancher océanique le « chant » de la terre du à ses oscillations, sa « respiration »5 ! Si les fréquences de ces sons se situent hors des capacités de l’ouïe humaine, elles sont pourtant bel et bien existantes !   

L’hypothèse Gaïa confirmée ?

Pour finir, la conviction des peuples premiers selon laquelle la Terre est un être vivant global, conscient et cohérent mérite d’être mise en parallèle avec l’hypothèse Gaïa, émise par le biologiste anglais James Lovelock dans les années 70. Celle-ci met en évidence l’impressionnante capacité de la planète à s’autoréguler et à maintenir un équilibre global indispensable à la perpétuation de la vie.  La proportion d’oxygène dans l’atmosphère maintenue rigoureusement à 21%, la température moyenne à la surface du globe, le taux de salinité des océans ou d’acidité des pluies ne sont que quelques exemples de facteurs qui ont été maintenus stables pendant des centaines de millions d’années et sans lesquels l’équilibre de la vie se serait effondré. Il semble que les peuples premiers, de par leur sens aigu de l’observation et leur intelligence perceptive, avaient compris ces lois du vivant et savaient comment établir avec la nature une relation de symbiose. « Ils savaient qu’on ne peut maltraiter ou épuiser la nature sans qu’il y ait un retour, ajoute Philippe Bobola. L’idée que le réchauffement climatique que nous connaissons puisse être l’expression de la colère de la Terre Mère pourrait être aussi validée scientifiquement. Quand le corps humain a de la fièvre, n’est-ce pas qu’il se bat pour éliminer un élément pathogène ? ». De même, la croyance répandue chez les Kogis selon laquelle puiser le minerai reviendrait à vider les entrailles de la terre de ses éléments vitaux, semble conforter par les recherches du climatologue et  géophysicien Alexei  Dmitriev.  Celles-ci ont effectivement démontré que les puisements souterrains de métaux influencent les courants telluriques, eux-mêmes reliés aux courants atmosphériques, et donc l’avènement de cyclones, tempêtes et autres aléas météorologiques.

Finalement, les croyances ancestrales, reléguées au rang de « païennes » ou « primitives », ne méritent-elles pas d’être revues à l’aune de ces découvertes scientifiques ? Et avant tout, ne devrions-nous pas réapprendre à écouter, voir et sentir la nature dans toutes ses dimensions ? « Plus on l’honore, plus on offre de l’attention à un esprit, plus on lui donne forme et vie », écrit Liliane Van der Velde6. Nous rouvrir à ces forces, principes et intelligences de la nature ne pourrait-il pas nous aider à retrouver le chemin de l’équilibre, de la guérison mais aussi de la joie, ré-enchantant notre manière d’être au monde ?

Par Claire Eggermont.
Pour Inexploré n° 38. Printemps 2018


1 et 2 : Cf. Dossier Le chamanisme, une nouvelle médecine de l’âme ?, paru dans  Ultreïa n°08, été 2016
3 : Se référer à l’ouvrage collectif : Penser  autrement : Voies nouvelles, Philippe Bobola,  éd. Alterrenat  Presse  2010
4  et 6 : Cf. L’approche chamanique de la thérapie, Liliane Van der Velde et Olivier Chambon, éd. Vega, 2016
5 : Etude scientifique portée par l’Institut de Physique du Globe de Paris et l’Institut de Géophysique de Stuttgart  DOI: 10.1002/2017GL074892

En savoir plus :

  • Sagesses d’ailleurs pour vivre aujourd’hui, Frederika Van Ingen, éd. Les Arènes, 2016
  • L’âme de la nature, Rupert Sheldrake, éd. Albin Michel, 2001
  • Vivre en Terre indienne, Patrick Cicognani, éd. Le Relié, 2013

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